jeudi 22 novembre 2012

Aux armes!



Photo by "Jukz"


Pour cette grande première de notre rubrique littéraire, tout d’abord, un petit préambule. Ne vous attendez pas à trouver dans les pages à venir (ou en tout cas pas dans celle que je signerais), des romans de littérature dite « générale », de celle dont on tire des Goncourt ou des Médicis en pagaille, car pour le dire tel que c’est, cette littérature m’ennuie profondément. Pire, elle m’emmerde.

Les atermoiements et les questionnements intellectuo-mélodramatiques de la « Blanche » ne m’ont jamais intéressés. D’ailleurs, ça m’a toujours fait sourire cette dénomination : la blanche. Mais comme la drogue alors ? Ouais. Pareil. Et avec les mêmes conséquences désastreuses pour la santé…

Ce qui m’amène au point crucial : de quoi c’est-y qu’on cause par ici alors ? Eh bien des romans qui font leur boulot de romans, qui racontent une histoire propice à l’évasion, au rêve, aux frissons, à l’aventure, au voyage, à la prospective scientifique même (soyons fous, ça ne coûte pas plus cher), bref, qui divertissent tout en faisant réfléchir… ou pas. Parce que oui, on peut lire intelligent tout en se divertissant, voire même lire juste pour se divertir. Eh ouais ! Carrément !

Autant le dire de suite, mon fond de commerce et de lecture est quasi exclusivement composé de SF, de fantasy de quelques trop rares polars et de romanciers antérieurs à 1925. Et comme les romanciers d’avant 1925, on les connaît quand même un peu à force, ben j’en parlerais pas. Ça nous laisse quoi ? Pour ceux qui suivent, ça nous laisse la SF, la fantasy et les polars (même si comme je le disais plus haut, je n’en lis plus autant qu’avant).

Mais place aux livres ! On attaque tout de suite avec la nouvelle vague de la fantasy française avec la série des Récits du Vieux Royaume de Jean-Philippe Jaworski.



Récits du Vieux Royaume
(Janua Vera et Gagner la guerre,  de Jean-Philippe Jaworski)

Alors je vous vois venir, vous allez me dire : « Encore une série de fantasy à n’en plus finir avec x tomes et des caisses de personnages à se fader. » Alors oui, mais non. Car s’il s’agit d’une série, c’est avant tout parce que l’ensemble des textes de fantasy de Jean-Philippe Jaworski se situent dans ce fameux Vieux Royaume. La grande idée de Jaworski, c’est d’avoir fait du Vieux Royaume lui-même un personnage dont on découvre l’histoire plus qu’on ne la suit. 

Ce choix narratif se prête particulièrement bien au jeu de la novellisation et la plupart des textes mettant en scène le Vieux Royaume sont de format court. À ce jour, les récits du Vieux Royaume comptent donc un recueil comptant dix nouvelles dans sa dernière édition (la première n’en comptait que sept) qui a été suivi par un unique roman et une autre nouvelle sortie dans une anthologie (Magiciennes et sorciers, anthologie 2010 des Imaginales, paru aux éditions Mnémos.)

Mais entrons dans le vif du sujet : pourquoi lire les récits du Vieux Royaume ? D’abord, et même si ça peut paraître évident, parce que c’est très bien écrit. Jaworski manie très bien la langue française, et il lui fait de beaux enfants. Ses textes sont plaisants, savants sans être pédants, et très riches.

Changeant de registre de langage selon la personne qui narre l’histoire, usant tantôt d’une langue argotique, tantôt d’un langage plus soutenu, changeant de style d’écriture d’un texte à l’autre, tout cela donne parfois l’impression de lire des textes rédigés par différents auteurs. Tout cela peut sembler basique, mais l’écriture de Jaworski est réellement au-delà des pauvres mots que je peux calquer dessus. Peu de livres ont réussi à me procurer un tel plaisir de lecture.

Les nouvelles sont à ce titre exemplaires. Sorti en 2007 chez les Moutons électriques, le recueil Janua Vera marque la première occurrence du Vieux Royaume. Comprenant sept nouvelles, chacune d’entre elles est l’occasion pour Jaworski de changer de registre, passant du fabliau au récit de guerre, du comique au plus sombre, le tout avec une aisance qui laisse pantois.

À travers ces sept textes, il parvient à donner corps à son univers, à le doter d’une cohérence et d’une patine, ceci sans jamais alourdir son récit par de pataudes explications. Au contraire, tout semble couler de source, s’emboîter à la perfection, les nouvelles se complétant l’une l’autre, jusqu’à parfois entrer en résonnance.

À ces sept nouvelles originelles, quatre autres se sont ajoutées au fil des sorties en poche, des rééditions ou des anthologies auxquelles Jaworski a participé. Mis à part la nouvelle sortie en 2010 dans l’Anthologie Magiciennes et sorciers que je n’ai pas lu et pour laquelle je serais bien en peine de donner un avis (j’ai la faiblesse de lire les livres dont je parle, désolé), je peux assurer qu’en ce qui concerne les dix autres, le plaisir et la qualité sont au rendez-vous.

Il est également à noter que le côté « fantasy » des récits est très ténu. Foin des hordes d’orcs et des armées de démons ! Sans être absentes, les créatures fantastiques en sont réduites à la portion congrue : quelques elfes en voie d’extinction et dont le traitement (très fin) diffère radicalement des standards de la fantasy habituelle, quelques sorciers et sorcières, un soupçon de créatures fantastiques tapies dans les bois et c’est tout. Il y a bien quelques nains évoqués de-ci de-là, mais on sent bien qu’à l’instar des elfes, ils ne courent pas les rues. Jaworski utilise la fantasy car elle lui permet de fixer lui-même les règles du monde et du jeu (vous ai-je dit qu’il était également auteur de jeux de rôles fut un temps ?) Une fantasy discrète donc, mais néanmoins présente.


 
Passons maintenant au gros morceau (et ce n’est pas un vain mot), avec Gagner la guerre, le roman inscrit dans le cadre du Vieux Royaume. Sorti en 2009, toujours chez les Moutons électriques, on a ici affaire à un pavé de près de 700 pages !

Cette fois, il s’agit bien d’un roman. Bien qu’il puisse être lu de manière indépendante, on ne saurait trop recommander la lecture préalable de Janua Vera dont beaucoup d’éléments et surtout de personnages réapparaissent au fil du récit. À commencer par le narrateur, le sieur Benvenuto Gesufal, un type louche, un assassin, un soudard, un cynique sans cœur (pléonasme ?) mais qui fait preuve d'une certaine verve et qui, malgré ces travers, est attachant.

Le plaisir de la lecture est augmenté par ces petits clins d’œil aux nouvelles et on se surprend à esquisser un sourire lorsqu’au fil des pages on reconnaît tel ou tel protagoniste de telle ou telle nouvelle. Ces petits riens contribuent également à donner un supplément de cohérence à ce monde qui, déjà bien pensé au départ, y gagne aussi en âme. 

On baigne tout du long dans un étrange sentiment de familiarité avec ce monde (surtout après avoir lu Janua Vera) qui, bien qu’empreint d’un vernis fantasy résonne aussi des échos de notre propre Histoire. Comment ne pas reconnaître Venise dans la cité de Ciudalia ? Ne pas penser à notre Moyen-Âge féodal à la description de certains royaumes ?

On retrouve dans ce roman ce qui faisait déjà la qualité des nouvelles : une langue habilement maniée, des personnages fouillés et terriblement bien mis en scène, un récit savamment orchestré enchaînant avec bonheur action échevelée et phases plus contemplatives. L’intrigue réserve son lot de rebondissements et de mystères et c’est à regret qu’on repose ce livre une fois fini.

Vous l’aurez compris (j’espère), j’ai adoré me plonger dans ces livres, dans cet univers si proche du nôtre et pourtant si lointain. La galerie de personnages, de « gueules » croisées dans ces pages, la variété des situations et des récits justifient amplement la lecture de ces textes.


M le M
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Bibliographie récapitulative :
Auteur : Jean-Philippe Jaworski
Série : Récits du Vieux Royaume
Janua Vera, Les Moutons électriques, 2010 (dix nouvelles)
En poche, sorti chez Folio SF en 2009 (huit nouvelles)
Gagner la guerre, Les Moutons électriques, 2009. (Prix Imaginales 2009)
En poche, sorti chez Folio SF en 2011.
La troisième hypostase, dans Magiciennes et sorciers (anthologie réunit par Stéphanie Nicot), Mnémos, 2010. 



NB : je recommande de privilégier l’édition de 2010 de Janua Vera (en grand format donc). D’abord parce qu’en achetant dans une petite boîte, vous les aiderez à poursuivre leur boulot qui est, ce qui ne gâche rien, de très bonne qualité. Ensuite parce que cette édition a l’énorme avantage de compter au sommaire les 7 nouvelles d’origine, celle qui avait été ajoutée à la sortie en poche en 2009, celle de l’anthologie Rois et Capitaines (ce qui vous évite d’acheter  cet ouvrage si vous ne souhaitiez que le texte de Jaworski.) et un texte inédit.

Une bonne action, un inédit et un livre que vous n’aurez pas à acheter. Alors, merci qui ?

Pour Gagner la guerre en revanche, do as you wish. Si c’est pour lire dans les transports, mieux vaut peut-être le poche… sinon, soutien à petite maison d’édition, toussa toussa…



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